top of page

Critique de Film: Nausicaa

Critique de Nausicaa, film emblématique d’Agnès Varda.


Informations:

Nausicaa, film d’Agnès Varda, sorti en 1971.


Résumé:

Ce film inédit d’Agnès Varda, apparu plusieurs années après sa création, raconte la vie et l’activité politique des grec.que.s exilé.e.s en France pendant la Junte militaire en Grèce (1967-1974). Le régime des colonels imposa une censure rigide sur toute œuvre qui ne chanta pas les louages de la dictature, conduisit plusieurs personnes à l’exile, jeta des intellectuel.le.s à la prison, tourmenta et assassina des personnes liées à la lutte contre la junte. Le film de Varda suit Agnès, étudiante en art, histoire et archéologie à l’École du Louvre, qui héberge dans son appartement un réfugié politique grec, chassé par le régime autoritaire. À travers cette collocation soudaine, Agnès explore son côté grec, hérité d’un père qu’elle n’a jamais connu.


Des similarités entre la vie d’Agnès et l’Odyssée homérique émergent, surtout à travers sa relation avec l’invité grec, en même temps qu’une série de témoignages des intellectuel.le.s exilé.e.s en France, parmi lesquels Vassilis Vassilikos, l’auteur du roman Z, adapté au cinéma par Costa-Gavras, et Périclès Korovessis qui a décrit son expérience de torture par le régime des colonels dans son livre La filière, témoignage sur les tortures en Grèce, met l’accent sur le contexte socio-politique et la situation en Grèce.


Critique:

Le film pourrait être lu de plusieurs façons, dont la plus évidente serait ses similarités avec l’Odyssée homérique, apparentes dès son titre. L’exilé grec, venu en France afin d’échapper à sa persécution par la dictature grecque, correspondant à Ulysse, est hébergé par Agnès, correspondant à Nausicaa. Tout comme dans le poème épique, il doit partir afin d’atteindre sa propre Ithaque. Or, contrairement à la représentation d’Ithaque dans l’épopée, Varda démontre comment ce lieu presque utopique constitue, plus qu’un espace, un état d’esprit libre de même qu’un idéal politique. En outre, l’alternance des échanges entre les membres exilés des partis de gauche grecs, des témoignages des personnes tourmentées par la junte et de l’histoire personnelle de la protagoniste, donne au film un caractère documentaire, visible dans d’autres films de Varda, comme par exemple Cléo de 5 à 7 ; Varda créa d’ailleurs plusieurs films entièrement documentaires.


La question politique et, plus spécifiquement, la demande de la liberté, se met au centre de la narration. L’idée de la liberté de l’individu et surtout les manières dont elle est communiquée par l’art surgit à travers le choix des images des tableaux et des statues, liées aux cours d’Agnès à l’École du Louvre, aussi bien qu’à travers les dialogues entre les personnages. Une brève scène entre Agnès et un personnage sans nom, joué par Gerard Depardieu, introduit le concept de la lutte politique, de la lutte des classes, tout en produisant une réflexion sur la différence entre apparences et contenus. À cause de ses choix stylistiques, Agnès, qui travaille pour pouvoir faire ses études, apparaît au personnage de Depardieu, vêtu en tant que révolutionnaire prolétaire, comme une bourgeoise. Pareillement, l’étranger hébergé par Agnès, qui apparaît comme une personne indésirable pour la communauté parisienne et affronte le racisme surtout à cause de son accent, est en réalité un militant politique de gauche et un intellectuel. Ce jeu entre les apparences et les contenus, entre les signifiants et les signifiés, s’exprime aussi par le sujet de l’héritage grec de la protagoniste qui, tout comme Varda elle-même, connaît son autre pays seulement à travers des morceaux, fondés d’emblée sur l’expérience d’autres personnes.


L’atmosphère politique du film présage déjà L’une chante, l’autre pas de 1977 et Sans toit ni loi de 1985, à travers une cinématographie oscillant entre le réel et l’idéal, l’idée et la réalité.


En outre, les personnes qui témoignent de la violence exercée par la junte militaire, se déclarent prêts à se battre pour un avenir libre, en même temps que la protagoniste, Agnès, fait l’expérience de la politique à travers des mots et des idéals. Dès lors, Varda construit un univers narratif inspiré par l’imaginaire littéraire et artistique mais situé dans le monde réel ; on oserait parler d’un « réalisme imaginaire » des sortes. Suite à des pressions de la part du régime des colonels grecs, le film était censuré en France et ne sortira que des années après, par une copie conservée en Belgique. Un des films les moins connus de Varda, il constitue un voyage vers certaines des pages les plus macabres de l’histoire européenne contemporaine de même qu’une modernisation du mythe d’Ulysse, dans la tradition de Joyce.


Illustration: Odysseus et Nausicaa

Comments


bottom of page