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Critique film: Le Dernier Metro

Le Dernier Metro, film presque claustrophobe de François Truffaut.


Information:

Le dernier métro, film de François Truffaut (1980).


Résumé:

C’est la période de l’occupation allemande. À Paris, la vie intellectuelle et artistique se maintient comme toujours mais juste en apparence. La population juive est forcée, à ce stade-là, de porter l’étoile jaune et est exclue de tout spectacle. Au Théâtre Montmartre – correspondant à l’actuel Théâtre de l’Atelier – la rumeur est que le directeur, Lucas Steiner (Heinz Bennent) est parti pour l’Amérique, afin de fuir la persécution des juif.ve.s, après avoir laissé l’ensemble de la gestion du théâtre à son épouse, Marion (Catherine Deneuve). En réalité, il reste caché dans les sous-sols du théâtre et, dès lors, assiste, d’une manière étrange, à toutes les répétitions pour le spectacle à venir. Le nouveau acteur ingénu, Bernard (Gérard Depardieu), secrètement membre de la Résistance et militant de gauche, attire les louages du critique antisémite Daxiat (Jean-Louis Richard), collaborateur des nazis, qui souhaite obtenir la gestion du Théâtre Montmartre. Au cours du film, l’histoire se mêle avec la tradition littéraire et théâtrale, tout en exprimant la critique sévère de Truffaut sur la collaboration avec le Troisième Reich de même que sur les expressions de l’antisémitisme et du fascisme par des membres de la vie intellectuelle parisienne, cherchant à se protéger des persécutions. Le film se termine sur une note optimiste ; et surtout littéraire, car c’est à partir de La Montage Magique que Truffaut établit le triangle amoureux entre les personnages de Bennent, Deneuve et Depardieu.


Critique:

Hans Castorp arrive au sanatorium Berghof, à Davos, pour visiter son cousin. Une fois là, on lui diagnostique la tuberculose et, par conséquent, il est forcé de rester au sanatorium, où il tombe amoureux de Madame Chauchat et, enfin, perd totalement la notion du temps et se rend compte qu’il est resté à la « montage magique » pendant sept ans. Bien que l’occupation allemande en France aie une durée de quatre et non pas de sept ans, le dialogue établi entre La Montage Magique et Le dernier métro devient évident depuis les premiers moments du film, où le personnage de Depardieu – correspondant à Hans Castorp – entre dans le Théâtre Montmartre. Tout comme Mynheer Peeperkorn orchestre le baiser entre Hans Castorp et Madame Chauchat, Lucas Steiner demande au personnage de Depardieu s’il a compris que sa femme est amoureuse de lui. Outre les différences éminentes entre les deux personnages – surtout parce que Peeperkorn possède un côté grotesque absent du comportement de Steiner, représenté en tant que génie créatif – nous pourrions bien trouver des similarités.


Pendant les longs mois aux sous-sols du Théâtre Montmartre, Steiner décide justement d’adapter le roman de Thomas Mann pour la scène. Tout comme Hans Castorp oublie le passage du temps, Steiner lui aussi commence à vivre essentiellement dans cette hétérotopie étrange, malgré le danger d’une enquête par les nazis toujours existant. L’univers imaginaire de Thomas Mann donne à Steiner l’illusion d’être pour encore une fois directeur du théâtre. En outre, le film finit avec le premier spectacle après-guerre : Marion rend visite à Bernard, invalide dans un hôpital. Elle n’a pas oublié leur amour ; en revanche, lui, il est devenu cynique et mélancolique et ne l’aime plus. Les rideaux tombent et Steiner monte sur scène sous les acclamations de l’auditoire pour saluer avec Marion et Bernard. Pourrions-nous suggérer que cette pièce théâtrale est justement l’adaptation de la Montage Magique pour la scène ? Certes, après avoir vécu l’horreur de la guerre, Hans Castorp n’aimerait plus Madame Chauchat ou, plus précisément, il aurait perdu tout désir d’aimer et d’être aimé.


Contrairement à cet épilogue imaginaire – et surtout hypothétique – de la Montagne Magique, le film de Truffaut se termine sur une note quasi-optimiste : la guerre est finie, Steiner est libre à réclamer sa place en tant que directeur du Théâtre Montmartre tout en acceptant de faire partie de ce triangle amoureux entre lui-même, sa femme et le protagoniste de sa troupe. Or, la guerre a aussi laissé un trauma toujours ouvert, car la monstruosité de la Shoah ne sera pas effacée facilement de la mémoire collective. Par ailleurs, Truffaut paraît suggérer que la seule place de la guerre et de la perte est justement l’univers fictif d’une pièce théâtrale ou d’un roman ; puisque l’on a vécu le Mal absolu, on peut construire une société fondée sur l’égalité entre les gens, la solidarité et le respect. Il s’agit d’un point de vue à la fois diachronique et synchronique, car Truffaut observe toujours les conflits partout sur la globe ; de cette manière, il se rapproche des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, où la mère des jumelles fait tous les jours des commentaires contre les guerres continues.


Dans l’ensemble du film, la scénographie et la cinématographie contribuent à la construction d’une atmosphère sombre, voire claustrophobe. Le jeu continu entre la lumière et les ombres, de même que la musique, rappellent le genre de thriller, en même temps que le décor donne une artificialité au paysage, en faisant allusion aux productions théâtrales ; l’ensemble du film sert à constituer une sorte d’hommage au monde du théâtre. Quant au théâtre, il fonctionne à la fois en tant qu’outil narratif qui, à travers l’élément de l’artificialité, raconte l’histoire des Steiner et de Bernard, et comme l’endroit où l’ensemble de l’action se déroule, à savoir le Théâtre Montmartre. Cette hétérotopie, d’après le terme de Michel Foucault introduit en 1966, fondamentale dans les civilisations occidentales correspond, en fait, à l’hétérotopie de sanatorium dans La Montage Magique, puisque les deux constituent des espaces quasi-réels et quasi-imaginés, où le temps s’écoule d’une manière différente.

Au final, l’univers à la fois optimiste, critique, sombre et terrifiant créé par Truffaut paraît constituer une thèse politique soutenant la liberté et la paix, tout en se penchant sur le rôle des espaces hétérotopiques, tels que le théâtre et le sanatorium, pendant les temps de crise.


Illustration: Catherine Deneuve dans le rôle de la comédienne Marion Steiner.

© F. Truffaut/Les Films du Carrosse, Sédif Productions, TF1 Films Production


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